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9 janvier 2007

Rome, Naples, villes ouvertes

La Peau

Curzio Malaparte

Editions Denoël 1949

438 pages

ISBN 2 07 036502 6

Voilà un livre qui dérange, par un auteur qui a dérangé, ses prises de position contre les totalitarismes de tout bord étant particulièrement affirmées : " Je me flatte d'être, parmi tous les écrivains européens contemporains, l'écrivain le plus haï par les fascistes et le plus interdit dans les pays sans liberté. " (p. 14)

La peau fait suite à Kaputt et relate la reddition de l'Italie de Mussolini devant les troupes américaines. Malaparte participe activement à l'avancée des troupes et nous livre son témoignage. Cela commence à Naples où l'auteur/narrateur "vêtu de l'uniforme d'un mort" * s'engage à faire découvrir à ses collègues militaires d'outre-atlantique "l'horreur et [de] la misère du monde" *, et s'évertue à leur mettre le nez dans ce à quoi la population de " Naples, putain et martyre" * est réduite pour survivre. Cela se poursuit logiquement (?) par l'entrée des libérateurs dans Rome. Là, si la difficulté de vivre d'une population exsangue semble lâcher momentanément du terrain ce n'est que pour revenir nous frapper en pleine face avec d'autant plus d'intensité. Malaparte ne choisit pas d'épargner le lecteur.

Que d'émotions mêlées ce livre suscite, témoignage de l'horreur et de l'absurdité de la guerre, -en ce sens, il rappelle un peu Voyage au bout de la nuit. Comme Lamiri, c'est avec le coeur au bord des lèvres que j'ai lu le passage du poisson-sirène, comme Feint j'ai éprouvé un grand frisson lorsque le titre du livre a pris tout son sens."Un homme mort est un homme mort. Il n'est qu'un homme mort. Il est plus, et peut-être aussi moins, qu'un chien ou qu'un chat mort. Il m'était arrivé plusieurs fois déjà, sur les routes de Serbie, de Bessarabie, d'Ukraine, de voir imprimé dans la boue de la route un chien mort, écrasé par les chenilles d'un char. Le profil d'un chien dessiné sur le tableau noir de la route avec un crayon rouge. Un tapis en peau de chien.
A Janpol, sur le Dniester, en Ukraine, au mois de juillet 1941, il m'était arrivé de voir dans la poussière de la route, au beau milieu du village, un tapis en peau humaine
."

Le reste du livre n'est pas beaucoup moins horrible, pénible, ou douloureux, de scènes viles en tableaux obscènes parfaitement dépeints par un Malaparte percutant dont la précision du vocabulaire et le sens de l'observation ne peuvent qu'apporter un indubitable réalisme au "spectacle barbare et grotesque de l'Italie mussolinienne en guerre et de l'avancée des troupes américaines" ** qu'il évoque. Et pourtant tout n'est pas que laid ou malsain dans ce roman. L'auteur sait aussi faire montre d'une poésie poignante, digne d'auteurs classiques,- "il m’arrivait de penser à Agrippa d’Aubigné, mais à un d’Aubigné désabusé",** pour évoquer la rage et la beauté meurtrière du Vésuve ou encore la douceur de la lumière sur Capri.

Mais justement, cette poésie des mots, c'est comme si elle servait à mettre d'autant plus en exergue l'horreur qui hante le roman de bout en bout et en rend la lecture laborieuse, de plus en plus à mesure qu'on plonge au coeur de l'indicible. Que cela soit bien entendu, La peau ne se lit pas facilement, c'est une épreuve qui demande une lecture assidue et concentrée, et un coeur bien accroché. Et pourtant, c'est, ce devrait être, une lecture essentielle.

Sources :

*http://www.manuscrit.com/Edito/invites/Pages/MarsMetemp_Malaparte.asp

**http://www.zazieweb.fr/site/fichelivre.php?num=732


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