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25 novembre 2006

No man's land

"Fugue" de Cécile Wajsbrot

Roman, Estuaire/Carnets littéraires isbn 2874430102

"(...) je cherche des livres qui parlent de disparitions, des héros qui s'en vont sans donner de nouvelles. Il n'y en a pas beaucoup et quand il y en a, souvent, ils racontent l'histoire de ceux qui sont restés et qui attendent le retour - comme si l'histoire de ceux qui disparaissent n'étaient pas racontable." [1]

Cécile Wajsbrot cherchait-elle à prendre le contrepied de cette constatation de son héroïne? Plutôt que de nous raconter l'histoire de cette femme qui fuit et cherche à tout oublier de sa vie passée, il semble qu'elle nous donne à voir sa dissolution dans un no man's land urbain, les foules anonymes et le paysage vierge d'un Berlin en pleine transformation, "ville déstructurée" [2], noyée dans ses brumes hivernales. Un paysage vide, dévasté, inhabité, espace idéal d'une disparition: "C'est pour cela aussi que sur les images, j'aurais voulu qu'il n'y ait personne, mais c'était un peu dur, donc il y a tout de même des gens, mais qui ne sont pas individualisés, ce sont des foules, des passants, mais pas des gens identifiables." [2]. Un paysage, donc, que les photos de Brigitte Bauer, proposées en contrepoint du récit de Cécile Wajsbrot, contribuent à imposer avec plus de force encore, selon la ligne directrice des éditions Estuaire, "intégrant la narration de texte de type romanesque et la narration graphique (...) les rendant solidaires l'un de l'autre" [3].

Etrange fugue, qui se heurte à son impossibilité même et nous renvoie son interrogation: "comment faire au fur et à mesure que nous avançons pour ne pas trahir le passé, pour l'accepter, accepter les choses que nous avons vécues ou que nous n'avons pas vécues mais qui font partie de notre bagage tout en n'en étant pas prisonniers." [2]. Etrange fugue, dont le corps se dérobe au lecteur et dont la présence tient tout entière dans une voix, un ton, "un langage épuré qui mérite d'être lu à voix haute" [4], un regard singulier, qui captent l'attention d'un bout à l'autre de ce court roman.

Extrait:

"Certains travaillent encore, décapent des murs ou des parquets, décapent des vies, des couches d'histoire qu'ils enlèvent une à une pour tout repeindre à neuf - comme j'aimerais repeindre ma vie et lui donner ce nom des tableaux d'aujourd'hui, sans titre - sans histoire, sans nom. Ce que j'aime, ici, c'est que je ne raconte rien à personne, rien de ce qui m'importe, j'ai des rencontres de hasard faciles qui ne durent pas longtemps, je visite des appartements - leurs intérieurs sont aussi désordonnés que leurs vies - et je repars au matin, je vais courir puis je prends un petit déjeuner." ("Fugue", Estuaire, 2005, p. 23)

Références

[1] Cécile Wajsbrot, "Fugue", Estuaire, 2005, p. 73

[2] Cécile Wajsbrot, dans un entretien accordé à Boojum

[3] Présentation des éditions Estuaire

[4] Sahkti, "Partir pour oublier", zazieweb

Pour en savoir plus:

* Sur "Fugue": une revue de presse, rassemblée par l'éditeur

* Sur Cécile Wajsbrot, son intérêt pour les littératures d'Europe de l'Est et son travail de traductrice, des critiques d'une de ses traductions récentes: "Berlin-Moscou, un voyage à pied" de Wolfgang Büscher

* Sur la photographe Brigitte Bauer

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