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26 juin 2006

Le bruit de quelqu'un qui ne voulait pas faire de bruit

John Irving - Une veuve de Papier

titre original - A widow for one year

ISBN 2-02-041641-7

Editions du seuil, avril 1999

Collection points - 650 pages

Unanimement salué par la critique comme au moins aussi divertissant que Le monde selon Garp, Une veuve de papier a en effet de nombreux points communs avec celui-ci - même si personnellement je pense qu'il ne le vaut pas.


Dans Le monde selon Garp je trouve les personnages et l'analyse de leurs relations beaucoup plus approfondis, l'atmosphère angoissante beaucoup plus imprégnante, et l'histoire elle-même plus inattendue.


Une veuve de papier reste néanmoins un excellent ouvrage. Le fil de l'intrigue est on ne peut plus cohérent, les personnages très bien traités, et la progression du récit parfaitement orchestrée.


On trouve dans l'histoire des thèmes affectionnés par Irving: les prostituées, le rôle de l'écrivain, le rapport entre réalité et fiction, le lien Mère - Enfant, l'affection d'un homme envers une femme plus agée ...

L'organisation des chapitres est également très judicieuse: on s'attache successivement à chaque personnage (la plupart d'entre eux sont écrivains ou journalistes) à une période de sa vie, le récit étant à chaque moment narré de leur point de vue.

Ted, Marion, Eddie, Ruth, Hannah .... Autant de tranches de vie s'entrecoupant. Notons au passage l'entremélange de la "vraie vie" et des extraits des oeuvres des personnages (le matelas pneumatique rouge et bleu par ex.) : quand la réalité dépasse la fiction ...


Eté 1958.


Ted, un écrivain pour enfant, et son épouse, Marion (très belle femme) ont subi une tragédie: la mort de leurs deux fils (Tom et Tim). Marion ne s'en est jamais vraiment remise, trainant avec elle sa peine et son desespoir. Ted lui, boit et trompe sans vergogne son épouse - tourbillon de plaisirs charnels qui débutent invariablement par une séance de dessin.

Pour tenter de reconstruire leur couple ils ont eu une fille, Ruth - qui va commencer a grandir dans l'ombre de ses frères disparus. Fille unique partageant ses parents avec des fantômes, elle finira par connaître ses frères disparus mieux que ses propres parents.

Le couple de Ted et de Marion va très mal. Ted fait venir chez eux Eddie, un jeune de 16 ans, fils d'un prof d'anglais au pouvoir soporifique insoupçonnable, afin que celui-ci devienne officiellement son assistant. Le motif réel de cette venue est une manipulation de Ted qui est persuadé que sa femme va succomber aux avances d'Eddie - et qui compte monter un dossier à charge contre elle en cas de divorce afin de conserver la garde de Ruth. La relation amoureuse naît, presque incestueuse (Eddie ressemble à un des fils disparus et a 20 ans de moins que Marion).


Ete 1958, Marion a peur de perdre ceux qu'elle aime - de perdre une troisième fois un enfant, elle refuse donc de s'attacher à eux. Elle part après les oies sauvages et quitte mari, amant, maison et enfant.


Ruth devient écrivain à succes. Elle est anxieuse, n'a que de déplorables petits amis, joue au squash sans réussir - ultime défi - à vaincre son père à domicile. Ecriture. Ses romans, même proclamés comme purement imaginés, naissent forcément de quelque chose de vécu, au lecteur de trouver quoi.

Ruth se compromet dans les quartiers chauds d'Amsterdam (pour les connaisseurs: Oude Kerk - la vieille église - dans le quartier de la lanterne rouge) où elle fréquente le milieu des prostituées (celui-ci va contribuer à l'ui inspirer son prochain roman).


Elle rentre aux US, apprend le suicide de son père, se marie en dépit de la sentence d'une lectrice aigrie autoproclamée veuve pour les restant de ses jours.


Elle a un fils - et va découvrir la puissance de l'amour maternel. Le chagrin de la perte de l'être aimé va la rapprocher de sa mère. Mais elle restera veuve une année, puis repartira dans le monde.


Eddie quant à lui est devenu un écrivain moyen dans une vie moyenne. Attiré uniquement par les femmes plus agées il cultive l'amour de Marion de façon inlassable pendant trente ans -- jusqu'au retour de l'être aimé.


Honnêtement je ne suis pas du tout fan des romans qui parlent sentiments - c'est rarement traité de façon satisfaisante à mon goût (trop de pathos, trop de douceur etc).


J'appréhendais cette lecture, à tort au final car la plume d'Irving oscille entre le burlesque et le drame et multiplie les rebondissements, ce qui fait du récit un moment très agréable.


Courtes citations


Une nuit, alors qu'elle avait quatre ans et dormait sur la couchette inférieure de son lit gigogne, Ruth Cole fut réveillée par le bruit d'un couple en train de faire l'amour, buit qui provenait de la chambre de ses parents et qui lui parut tout à fait insolite. Elle relevait d'un gripe intestinale; à entendre sa mère faire l'amour, elle crut tout d'abord qu'elle était en train de vomir.

[...]

A la faible clarté de la lune, et à celle plus faible encore et incertaine de la veilleuse que son père avait installée dans la salle de bain, Ruth vit les visages pâlis des ses frères morts, il y en avait plein la maison, sur tous les murs. Les deux garçons s'étaient tués dans l'adolescence, longtemps avant la naissance de Ruth, longtemps même avant sa conception, et pourtant elle avait l'impression de connaître ces jeunes disparus bien mieux que son père ou sa mère.

[...]

Un enfant de quatre ans pousse  des cris perçants.

Ruth fut stupéfaite de la vitesse à laquelle le jeune amant de sa mère mit pied à terre; à vrai dire, il se dégagea de la femme et du lit avec un mélange de panique et de zèle si intense qu'on l'aurait cru propulsé - délogé par un boulet de canon.

Il dégringola sur la table de nuit, et, soucieux de dissimuler sa nudité, prit l'abat-jour de la lampe de chevet qu'il avait cassée. Dans cette situation, le fantôme parut à Ruth moins menaçant qu'elle ne l'avait jugé tout d'abord [...]

Sa mère, encore à quatre pattes sur le lit, manifesta une absence de surprise caractéristique; elle se contenta de considérer sa fillle avec une expression de découragement qui frisait le désespoir. Sans lui laisser le temps de crier une troisième fois, elle lui dit:"Ne hurle pas ma chérie. C'est Eddie et maman, c'est tout. Retourne te coucher."

Ruth Cole fit ce qu'on lui disait, et repassa donc devant les photos, qui lui semblèrent désormais plus fantômatiques que l'amant-fantôme de sa mère, chu et déchu. Tandis qu'il essayait de se cacher derrière l'abat-jour, Eddie avait oublié que l'objet, évidé à ses deux extrémités, offrait à Ruth une vue imprenable sur son sexe en décrue.


**


Si Ted réussit à finir la journée vivant, il le dut à l'exercice rigoureux et régulier qu'il s'imposait sur les courts de squash, et qui lui conféra un avantage inique. A quarante-cinq ans, il avait une bonne foulée. Il dépassa des rosiers sans casser son élan, et traversa une pelouse, laissant bouche bée un homme qui passait un aspirateur de piscine.

Il fut ensuite pris en chasse par un chien, fort heureusement petit et poltron: il suffit à Ted d'attrapper un maillot de bain de femme en train de sécher sur une corde à linge et de le lui faire claquer au nez pour mettre en déroute ce pleutre animal. Bien entendu, plusieurs jardiniers, bonnes et ménagères se mirent à lui hurler aux oreilles; celà ne l'empêcha pas d'escalader trois barrières et un mur de pierres assez élevé, en ne piétinant que deux parterres.

Et il ne put voir la lincoln noire de Mrs Vaughn couper le coin de Gin Lane vers south main street, où elle emboutit un panneau routier dans son acharnement. Ce fut par les fentes d'une palissad ede Toylsome Lane qu'il aperçut le véhicule d'un noir de corbillard filer parallèlement à lui. Ted traversa deux pelouses, une cour pleine d'arbres fruitiers et quelque chose qui ressemblait à un jardin japonais - où il marcha dans un bassin de poissons rouge peu profond, trempant ses chaussures, et son jean jusqu'au genou.

 

[...]

Mais elle ne l'avait pas vu, il venait de la semer.


Différents avis


http://perso.orange.fr/book-in.site/jiuneveuve.html

http://www.ratsdebiblio.net/irvingjohnuneveuve.html

http://rfl.ifrance.com/irving.html

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Commentaires
E
Une nouvelle fois j'ai lu avec intérêt votre compte-rendu de ce livre, cela (et d'autres facteurs moins significatifs) m'a même encouragée à en emprunter une copie à la bibliothèque. Peut-être serais-je alors, une fois le roman lu, plus à même de faire un commentaire éclairé !<br /> A ce propos, et là je revêts la casquette d'administratrice vigilante (et lente !) du blog, je voulais attirer votre attention sur l'un de ses principes fondateurs, à savoir l'inclusion dans le corps du texte des critiques lues au sujet du livre . Cette contrainte, qui fait l'originalité de lu/lu, est d'ailleurs paradoxalement source de liberté puisqu'elle permet de questionner et/ou d'apporter son propre point de vue sur des critiques antérieures. Voilà ; j'espère que cette petite mise au point ne vous empêchera surtout pas de continuer à publier ici vos chroniques vivantes et si bien tournées :-)<br /> A bientôt !
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