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9 mai 2006

Le feu sous les cendres

Noces de cendres

Daniel Evan Weiss

Collection La Noire, Gallimard -rom., traduit de l'anglais américain par Marie-Lise Marlière, [1998]

304 pages sous couv. ill., 140 x 205 mm

ISBN 2070748863

Un récit haletant, une atmosphère pesante pour ce roman qu'on lit d'une traite. Un livre remarquable sur le sectarisme religieux de nos jours aux Etats-Unis et il y a quelques siècles en Europe pendant la tristement célèbre Inquisition. Kmell résume l'essence du roman dans son commentaire : "Même aux States, pays de liberté religieuse, cela [le mariage mixte] ne passe pas".[2]

Allison Pennybaker, WASP bon teint (comprendre White Anglo-Saxon Protestant, l'élite dominante aux USA) s'apprête à épouser Solomon Beneviste. Allison vient d'un milieu bigot, sa mère souhaite un mariage dans les formes. Solomon quant à lui ne s'oppose pas à l'idée d'un mariage chrétien puisque lui et Allison  " s'aiment "cosmiquement, cataclysmiquement", parviennent à concilier leurs différences, ne tiennent pas tant aux rites que leurs proches" [3] et pourtant ils "seront victimes de la violence de la mémoire – défaillante ou exacerbée – des Hommes" [3]. Cette mémoire, violente, oui,  c'est celle que va déterrer la mère de Solomon en partant à la recherche de ses ancêtres ; elle va patiemment reconstruire l'arbre généalogique d'une famille persécutée comme tant d'autres pour son judaïsme, pourchassée au cours des siècles, exilée, survivant tant bien que mal à ses cendres. Evidemment la conclusion de "Ce récit très noir, à deux voix" [3] sera à la mesure de la tension croissante du récit : " nous retrouvons [les personnages] carbonisés dans leur pavillon, un troisième corps avec eux " [2]

La quatrième de couverture parle d'une "tragi-comédie" [1], ce que je récuse. On est ici en plein drame, on ne sort pas indemne de ce roman qui pousse à  réfléchir à l'intolérance, à la souffrance qu'engendre la différence, à l'hégémonie de la majorité bien-pensante qui peut tout se permettre au nom de la normalité et de la morale.

Et puis il me faut aussi dire mon étonnement de voir ce livre classé comme polar. Bien sûr, il y a enquête de Miriam Beneviste sur son passé, bien sûr le récit est parsemé de rapports de police pour nous aider à "comprendre les faits" [2], on parle même d'un "sabotage mené par l'entourage familial" [3] ; et pourtant, il me plaît de voir dans Noces de cendres autre chose qu'un thriller, notamment avec le travail d'information minutieux qu'a entrepris l'auteur sur l'Inquisition hispano-portugaise qu'il nous relate dans ses détails historiques et humains. C'est d'ailleurs en cela que le récit me rappelle La tunique d'infamie, le superbe roman de Michel del Castillo.

Daniel Evans Weiss affirme que "Je ne voulais pas écrire une histoire polémique" [3], on est bien d'accord. Ce qui ne l'empêche quand même pas de soutenir dans la même phrase que "La religion rend fous les gens normaux" [3]. Kmell confirme avec une certaine désinvolture : "Le sous-titre eut pu être "quand la religion s'en mêle"[2].

Alors ce roman, qu'est-il ? Pur polar, étude historico-religieuse du peuple juif, dénonciation du fanatisme religieux hélas toujours d'actualité, condamnation d'un système de valeurs tacitement accepté mais pas juste pour autant, provocation facile, simple lecture distrayante ? Sans doute un peu tout ça, comme semble bien le penser l'auteur qui déclare dans une phrase qui résonne comme une menace : "lorsque vous ne connaissez pas votre Histoire, tout peut arriver" [3]

Pour ma part, à mon niveau de lectrice avide de m'informer et de comprendre, je reste sur mes positions idéologiques et affirme à mon tour que si on peut au quotidien ne pas être toujours d'accord avec certaines vues entretenues par le judaïsme, on ne peut et on ne doit en revanche en aucun cas taire ou ignorer le grand drame que vit le peuple juif depuis des siècles d'incompréhension et d'intolérance. C.Q.F.D

Liens :

[1]http://www.gallimard.fr/Gallimard-cgi/Appli_catal/vers_detail.pl?numero_titre=010034296

[2]http://www.zazieweb.fr/site/fichelivre.php?num=12279#Message68732

[3]http://www.regards.fr/archives/1999/199906/199906cre06.html

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Commentaires
E
"la religion juive insiste sur le respect, la chrétienne sur l'amour. Or je m'interroge : le respect n'est-il pas plus fondamental que l'amour ? Et plus réalisable aussi... Aimer mon ennemi, comme le propose Jésus, et tendre l'autre joue, je trouve ça admirable mais impraticable [...]<br /> Cependant l'amour peut-il être un devoir ? Peut-on commander à son coeur ? Je ne le crois pas. Selon les grands rabbins, le respect est supérieur à l'amour. Il est une obligation continue. Ca me semble possible. Je peux respecter ceux que je n'aime pas ou qui m'indiffèrent. Mais les aimer ? D'ailleurs, ai-je autant besoin de les aimer si je les respecte ? C'est difficile,l'amour, on ne peut ni le provoquer, ni le contrôler, ni le contraindre à durer. Alors que le respect...."<br /> <br /> L'enfant de Noë, Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel 2004, p.132-133
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